D'où viennent les pèlerins de Saint Mort ? Aucune signalisation n'indique le chemin vers la chapelle édifiée en son honneur.
Et pourtant, quand le sanctuaire est ouvert, il n'est pas rare de trouver une silhouette discrète agenouillée devant un cierge, ou en train de ramasser de la terre sous l'autel ou baiser le menhir enfoui.
Autour de l'ouverture du bas de l'autel, il est écrit : "L'AN 613 DE CE LIEU ST-MORT MONTA AUX CIEUX.
Que s'est-il donc passé en l'an 613 hors l'ascension de Saint Mort ? Cette année-là, une dame octogénaire fut mise à mort en Bourgogne, liée nue par les cheveux à la queue d'une jument indomptée et traînée, selon la légende, jusqu'au pied d'une de ces pierres druidiques qu'elle avait condamnées, où elle expira : l'horrible supplice de la reine Brunehaut.
Au mont de l'Enclus, en Flandres, on retrouve une Pierre Brunehaut, sur la route de Maubeuge vers Mons, on retrouve une Chaussée Brunehaut, à Jambes, une tombe Brunehaut. A Bavay aussi.
Mort de Brunehaut (613) – Brunehaut fit aussitôt proclamer Sigebert, l'aîné des quatre jeunes fils de Théodoric. En maintenant unies les forces de Bourgogne et d'Austrasie, elle pouvait encore conserver des chances de mettre à mal la Neustrie.
Mais les leudes ne voyaient pas d'un bon œil le fait que Brunehaut prenne le pouvoir. Un parti se forma contre elle, dirigé par deux hommes, Pépin de Landen et Arnould. Les leudes austrasiens préférèrent offrir les royaumes d'Austrasie et de Bourgogne à Clotaire II plutôt que d'obéir à Brunehaut.
Cette dernière préféra fuir jusque dans les montagnes du Jura. Là, elle fut faite prisonnière et livrée au roi de Neustrie. La vieille reine comparut devant le tribunal de son neveu, Clotaire II, qui n'eut aucune pitié pour elle. Brunehaut fut accusée d'un demi siècles de crimes, dont la plupart avaient été commis par la reine Frédégonde. Brunehaut fut torturée trois jours durant, puis le roi ordonna qu'elle fut liée à la queue d'un cheval indompté. La malheureuse fut mise en pièces par l'animal
Ainsi donc, c'était à une autre Tombe Brunehaut, à un site mégalithique enfoui que depuis des générations accouraient sans le savoir, les pèlerins de Saint Mort. La tête de granit qu'ils embrassaient ou la terre qu'ils prélevaient en était le repère.
Voici l'histoire rapportée à la fin du 16e siècle par le théologien Molanus.
- "Aux dire de nos ancêtres, c'est près d'Andenne qu'il vint au monde, mort. Mais avec la permission divine, il retrouva la vie et fut déclaré au baptême : Mort né. Miraculé, il vécut modestement dans les bois, en compagnie d'hommes frustes qu'il aidait dans la fabrication du charbon de bois. Puis il se retira en ermite dans ces mêmes bois d'Andenne, où il passa saintement ses jours, jusqu'au dernier."
Vitrail dans l'église St Mort à Huy, autrefois dénommée église de Saint Jean l'Evangéliste, où se trouvait la vierge noire, Notre Dame des Vignettes
L'ermite mourut octogénaire, précise Molanus, tout comme Brunehaut. Mais les coïncidences ne s'arrêtent pas là : son trépas, survenu comme celui de la reine d'Austrasie près d'une pierre, s'assortit également d'une affaire de chevaux.
- " Un jour, comme on ne le voyait plus, les voisins organisèrent une battue et le découvrirent mort. Ils voulurent transporter sa dépouille à Andenne. Mais les chevaux, Dieu aidant, se rebiffèrent. Par contre, tournés vers Huy, ils gagnèrent sans plus de révolte l'église Saint-Jean-l'Evangéliste. C'est là que son corps respose, honorablement inhumé entre deux piliers de la nef."
Dans l'église aujourd'hui contre l'hôpital de Huy, se trouve la tombe. Sur sa dalle funéraire et sous une statue du saint en tenue d'ermite avec chapelet et bâton, se voyait "une grande pierre posée sur deux supports, en manière de table d'autel". Cette fois, c'est un dolmen qui est situé dans l'église, devant lequel au seizième siècle se perpétuaient d'étranges rites, évoquant la tombe Brunehaut de Jambes :
- "... les pèlerins qui y affluent, déposent des offrandes pour être délivrés de leurs calculs, maux de tête, de dents, douleurs aux jambes et autres maladies. Il y offrent des ex-voto en cire ou en métal, jambes, couronnes, bras, comme aussi des fers de prisonniers, du gros sel, des pièces de monnaie, des figurines de poules et de poussins, etc..."
Aujourd'hui, la chapelle St Mort à Huy est fermée au public, suite à l'effondrement de la toiture. Mais autrefois, l'autel était couvert de chaussettes ou de bottines d'enfants, de mouchoirs, de fleurs. Et toujours, comme à la lointaine île Saint Gildas en Bretagne, les pèlerins venaient y gratter la poudre de dolmen, pour récolter un peu de poudre à guérir.
La croyance populaire, survivant encore de nos jours, veut que des petits sachets de poudre de la pierre, ou de terre qui l'entoure, doivent être placés dans les draps du lit d'un petit enfant qui commence "à faire ses dents", afin de le préserver de la souffrance.
Au temps de Molanus, beaucoup de personnes savaient en voyant les offrandes près des reliques de Mort, que c'était à cause d'une de ces vierges noires, réputées pour ressuciter les enfants mort-nés. Né sans vie à Andenne, amené à Notre Dame des Vignettes (vierge noire) à Huy, baptisé et ressucité.
Etrange coïncidence, la statue de la Vierge qui défile tous les sept ans en la ville de Huy est une vierge noire. Le culte de la Vierge noire, tout comme à Czenstochowa en Pologne, à Rocamadour, Chartres et bien d'autres endroits.
Selon les dires des théologiens du 16e siècle, on trouvait près de l'autel des petites poules en chiffon déposées avec leurs poussins sur la dalle sacrée. Pour comprendre cela, il faut se rappeler la valeur de l'œuf dans les croyances celtes, et se rappeler aussi la légende de Pépin dit d'Herstal.
Voici la niche où se trouvait la vierge noire.
Pour comprendre cela, il faut se rappeler la valeur de l'œuf dans les croyances celtes, et se rappeler aussi la légende de Pépin dit d'Herstal.
Pépin demanda à sa mère Begge d'ériger une église en un endroit sacré près d'une fontaine où une poule couvait ses poussins.
Mais c'est une autre histoire, liée certes, mais différente. Si l'on suit la route balisée par les poussins, on rencontrera aussi la Fontaine de l'Ourse, et les menhirs qui vous amènent à la chapelle St Mort à Haillot. Chacune des pierres levées aurait été une des sept étoiles de la Grande Ourse. Ce qui expliquerait à Andenne la tendance de répéter le chiffre sept : sept églises, sept poussins, sept marcassins aux mamelles d'une truie égarée,...
A noter qu'Andenne a gardé la tradition de son célèbre carnaval des ours. Chantée par les trouvères du moyen-âge et de la renaissance, la chanson de Brune l'ourse (Brunehaut) renseignait le pèlerin sur le chemin à suivre pour visiter les lieux où vécut, mourut et ressucita Saint Mort.
Du site mégalithique de Coutisse, hors le menhir sous l'autel Saint Mort, il ne reste que la Pierre du Diable, couchée le long d'un sentier au Gros-Hêtre, et le souvenir d'une autre au lieu-dit Vieux-Tauve. Protégés par le "diable" ou christianisés, les menhirs et dolmens survécurent, jusqu'au 19e siècle, où la plupart furent enfouis ou débités en morceau pour paver les routes.
Texte grandement inspiré d'un livre de Paul St Hilaire "Liège et Meuse mystérieux".